mai 2020

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Il est fascinant de voir combien il faut peu de temps à une nouvelle « bien-pensance » pour s’installer. Il y a encore deux mois (un siècle !), la visioconférence était réservée à quelques entreprises, à des usages ou des contextes particuliers. Télétravail oblige, c’est devenu l’Alpha et l’Oméga de la nouvelle pratique managériale. Et pour cause ; tous ont pu en constater l’efficacité professionnelle, économique et écologique.  Mais, au vu du succès des apéros virtuel, des sites de rencontre, voire de la formation à distance, il est également de bon ton d’en souligner les mérites sociaux, émotionnels, voire affectifs.

Est-on obligé d’aller jusque-là ?

Souvenez-vous : nous sommes à la mi-mars, la décision du confinement général et immédiat prend tout le monde au dépourvu. La nécessité pour les entreprises de s’organiser dans l’urgence pour faire face à cette situation inédite leur fait (re)découvrir ces merveilleux outils (ZOOM, TEAMS et tous les autres) qui vont vite devenir des stars planétaires. Cette découverte ne se fait pas sans apprentissage et nos premières réunions nécessitaient une bonne demi-heure pour que tous les participants réussissent à se connecter par le son et l’image et choisissent le bon cadrage…

Aujourd’hui, nos réunions commencent à l’heure, davantage souvent qu’en présentiel. La technique oblige à une discipline précise et, force est de le constater, les participants demandent la parole au lieu de la prendre, l’écoute s’en trouve grandement améliorée, la bienveillance y gagne et, au final, l’efficacité des réunions se mesure aisément à leur durée et à leur productivité.

Cet acquis ne sera pas sans lendemain. Dans le livre blanc que vient de publier la Communauté de l’Ecole des Talents et auquel ACCOMPLIR a participé (« La crise : une opportunité pour (re) inventer le leadership »), les auteurs analysent ce que la crise a durablement changé dans le management et le distinguent de ce qui n’a pas changé et qui constituent en quelque sorte les invariants du management. Ce qui a changé, c’est l’organisation des temps et des espaces, symbolisé par la place appelée à devenir centrale (mais non unique) du télétravail. Et la distance physique que les uns et les autres seront amenés à prendre avec leur lieu habituel de « rassemblement » continuera à faire de la visioconférence un outil clé.

Oui, mais pas forcément pour tout.

Il a été évoqué plus haut les avantages de la visioconférence et notamment son efficacité pour partager l’information et/ou prendre des décisions. Au point où les pressions sont fortes pour généraliser son emploi à toute forme de réunion et pour toute occasion, y compris la formation à distance.

Commençons tout de suite par lever une objection. Voilà plus de 12 ans qu’ACCOMPLIR accompagne à distance des personnes dans leur projet professionnel. Et nous nous estimons bien placés pour affirmer qu’une véritable relation, avec ce que cela suppose de confiance partagée, peut s’établir entre deux personnes à distance, aussi bien qu’en présentiel.

La difficulté survient avec le nombre et la nécessité de la discipline qui en découle. Cela aide le partage des informations et des avis, et donc la prise de décision. Cela décourage la spontanéité, l’impromptu, et tempère considérablement l’enthousiasme et toute autre forme de manifestation d’une émotion.

Comme le dit si bien Gaspard Koenig, dans Les Echos du 6 mai 2020, « on peut tout faire en virtuel, sauf l’essentiel ». Il précise :

« Ce que ces dernières semaines nous ont aussi et surtout permis de constater, ce sont les limites du virtuel. Les enfants veulent rentrer en classe. Les adultes veulent revoir leurs collègues. Les politiques veulent serrer des mains. Les consommateurs veulent flâner dans les boutiques. Pourquoi ? Quel est cet indéfinissable supplément d’âme qui nous manque tellement ? (…) C’est tout ce qu’on ne peut pas prévoir : un geste décalé, un chahut en classe, un aparté entre chefs d’Etat, un verre mal posé, un accusé qui regarde au plafond… En abstrayant du réel ce qui nous est utile à un moment donné et pour une fin déterminée, le virtuel élimine par construction l’intempestif, l’aléa et le débordement : une visioconférence ne peut être perturbée par des gens qui n’y sont pas invités, les bavardages y sont impossibles et la distribution de la parole interdit toute spontanéité ».

Si la visioconférence a gagné ses lettres de noblesse durant ce confinement, sachons à l’avenir l’utiliser abondamment certes, mais à bon escient.

Parce que le management est et restera une affaire artisanale, n’oublions pas que l’on reconnait un artisan de talent à ses outils… et à sa capacité à bien les choisir en fonction des situations et des circonstances !

Jacques BourdonnaisGérant ACCOMPLIR