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Difficile de ne pas sourire devant la floraison régulière et envahissante des expressions anglo-saxonnes dans l’univers du travail. Et nul besoin d’être issu de la vieille économie pour se rendre compte que ces nouvelles expressions désignent le plus souvent des réalités bien anciennes.

Alors pourquoi repeindre sous de nouvelles couleurs les vieux mots et maux de la vie de travail ? Bien sûr, on peut n’y voir qu’un « effet mode », que le souci de se montrer « à la page », ou bien encore de se démarquer de pratiques jugées ringardes.

Et si ce besoin constamment renouvelé de renommer des situations professionnelles nous disait quelque chose d’essentiel sur le management ?

 

Tentons d’emblée de lever « L »’ objection, l’idée que, oui, décidément, ces expressions désigneraient effectivement de nouvelles façons de faire, qui, venant d’outre-Atlantique, auraient étaient reprises telles quelles dans notre environnement francophone. Le coworking par exemple. Ces « nouveaux » espaces de travail conçus pour accueillir des équipes « étrangères » les unes aux autres et dont la proximité et l’usage partagé d’équipements communs les amèneraient à coopérer spontanément. Personne ne peut contester que leur architecture et la technologie aient été réfléchies dans ce sens. Mais qui pourra sérieusement prétendre que les fruits de la coopération volontaire et « spontanée » dans ces nouveaux espaces soient très supérieurs à ce qu’ils étaient les décennies passées dans les immeubles de bureau entre voisins du même palier ou du même parc d’activités ? Et si leur succès ne venait pas tout simplement de l’extrême flexibilité de leur usage et, par conséquent, de leur capacité à répondre rapidement aux besoins immobiliers d’entreprises elles-mêmes en évolution constante. Quant aux afterworks, ils essaient sans doute de faire croire que ce n’est pas du travail, à la différence des traditionnelles « conférences » et autres « séminaires » qui encombraient nos fins de journée dans les décennies précédentes…

Personne ne conteste l’idée que l’usage de ces mots signe et souligne l’émergence d’une « nouvelle économie ». Il y a derrière à la fois l’omniprésence du fait technologique et la revendication d’un autre rapport au travail. Tous ses mots fleurent bon les mobiles, portables et autres réseaux, informatiques et sociaux. On y trouve parallèlement l’empreinte et la reconnaissance symbolique de la fameuse génération Y (à moins que l’on en soit déjà à la Z ?) : quand travail rime avec décontraction et absence d’horaires, quand les frontières s’estompent entre travail et non-travail et qu’il n’y a pas de salut en dehors de la coopération.

Tout cela rend compte d’un réel changement dans la sociologie et la technologie des univers professionnels. Ce n’est pas une première dans l’histoire industrielle. C’est même un phénomène habituel. A chaque évolution technologique, à chaque nouvelle génération, sa « mode » managériale, portée par une terminologie en rupture … avec la précédente. Après le travail à la chaîne, la découverte des relation humaines, l’apparition des ateliers semi-autonomes, la vogue des cercles de qualité, l’enrichissement des tâches, le développement personnel…

Tous ces mouvements ont eu et ont toujours leur importance et leur spécificité. Mais l’effet-mode agit en trompe l’œil. Leur irruption brutale et massive fait croire à la révolution, alors qu’elle ne fait qu’apporter de nouvelles couleurs à une éternelle recherche.

Car, à y regarder de près, depuis la révolution industrielle, l’organisation réelle du travail, elle, ne change pas, ou si peu. Elle est toujours décidée par des « ingénieurs » qui en recherchent l’optimisation, sans fin et sans autre finalité. Elle est toujours pensée en dehors des femmes et des hommes qui y travaillent. Et les femmes et les hommes qui y travaillent n’ont de cesse que d’y trouver un sens, individuellement et collectivement. Leur besoin régulier de « revisiter » (comme on le dit aujourd’hui du « Paris Brest » ou de l’éclair au chocolat) et de rebaptiser leurs pratiques de travail peut aussi se lire comme un nouvel avatar de cette quête permanente.

Afterwork et coworking sont dans un bateau ; afterwork tombe à l’eau ; qu’est-ce qu’il reste ?

Peut-être le souhait pour chacun d’entre nous de se faire Sa place dans l’organisation du travail. Et la « blanchir » d’anglicismes n’y suffira pas. Laisser l’organisation aux mains des « organisateurs » non plus. Changer le travail, c’est changer l’organisation du travail ; et pour cela, partir non plus de principes généraux, mais de ce que les uns et les autres peuvent et souhaitent apporter et ainsi valoriser, c’est-à-dire leurs talents.

Jacques BOURDONNAIS – Gérant d’Accomplir