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Burn out, harcèlement, non-sens organisationnel, … le fonctionnement de nos entreprises semble à bout de souffle tant il produit de dysfonctionnements et de souffrance au travail. Bien sûr, il est facile d’y voir le fruit de la mondialisation, de la pression toujours croissante de la course à rentabilité, de l’accélération du temps lié à l’invasion des nouvelles technologies, et, au bout du bout, de l’incompétence des « managers ». Toujours montrés du doigt, surtout ceux de proximité, ce sont pourtant eux qui subissent de plein fouet l’injonction paradoxale de l’époque : il leur faut appliquer de façon directive et sans faiblir les changements successifs et accélérés d’organisation décidés par la direction, tout en étant priés d’« écouter » leurs collaborateurs , afin de les motiver et de les impliquer davantage…

A tel point qu’émergent de nouveaux courants de pensée qui proposent tout bonnement de se passer des managers. « L’entreprise libérée » serait ainsi, paradoxalement, l’organisation idéale, parce que libérée de ceux qui assurent précisément son organisation… Et si l’on prenait un peu de recul pour s’interroger non sur la nécessité des managers (comment s’en passer ?), mais sur leur rôle ?

Nos entreprises (et administrations) se sont développées après la révolution industrielle sous l’effet conjugué de nouvelles technologies et de l’apport de la recherche en organisation. Frederick Winslow Taylor (1856 – 1915), symbole de cette nouvelle « organisation scientifique du Travail », était un ingénieur. Son approche à consister à décomposer le travail des ouvriers en tâches élémentaires pour faire réaliser chacune de ces taches par un ouvrier « spécialisé ». Ce faisant, il a délesté les producteurs de leur fonction d’organisation pour la confier à une nouvelle élite : les ingénieurs.

Très vite, on a constaté simultanément l’efficacité technique et économique indépassable du travail à la chaîne, et ses effets induits et indésirables sur la motivation, voire la santé, au travail.

Le 20ème siècle a connu une longue et ininterrompue suite d’expérimentations industrielles et de recherches en sciences des organisations pour tenter de corriger les défauts de cette approche « rationnelle » (ateliers semi-autonomes, cercles de qualité, …). Mais sans jamais remettre en cause l’idée que l’organisation était l’affaire de la direction dans sa conception et de la hiérarchie dans son exécution. Et pour cause : les gains constants de productivité ont permis l’avènement de la production de masse et donc de notre société de consommation.

L’organisation a ainsi gagné tous les recoins de la vie des entreprises et après avoir standardisé les process industriels, elle s’est mise en tête de standardiser les process de gestion. Avec la même « réussite » en termes d’efficacité. L’affaire a pris une tournure singulière à la fin du 20ème siècle, lorsque, presque 100 ans après TAYLOR, les progiciels intégrés de gestion ont pris la main sur l’ensemble des process organisant la vie de l’entreprise.

Ce n’était plus seulement la machine des « Temps modernes » qui prenait le pas sur l’homme, mais l’ordinateur qui dictait sa loi aux « cols blancs ».

L’organisation n’est plus seulement l’affaire des ingénieurs, mais d’informaticiens, travaillant d’ailleurs chez des prestataires extérieurs à l’entreprise.

Il est plus facile ainsi de comprendre la perte de sens dont souffre les entreprises. Et leurs directions, au « premier chef », qui ne savent plus à quels saints se vouer : continuer aveuglément sur un chemin qui mène dans le mur, mais « qui marche » pour l’instant, ou, au contraire, « libérer l’entreprise » ; mais la libérer de quoi ? ou de qui ? Et leurs salariés bien sûr qui multiplient les signes de désinvestissement, voire de souffrances. Et les managers, promus « pompiers de service », qui doivent au quotidien gérer des situations paradoxales.

Bien des solutions existent sans doute à cette « crise organisationnelle ». Quelles qu’elles soient, elles ne pourront faire l’économie d’une réflexion sur l’évolution du rôle des managers. Avec une contrainte imposée par l’évolution tant technologique que sociologique : ne plus les enfermer dans la décision et le contrôle ; leurs donner pour objectif de révéler les talents de leurs collaborateurs pour les faire grandir et donner du sens à leur travail ; organiser leurs équipes autour des talents de chacun de ses membres ; contrôler les résultats et non plus les moyens ; bref, accompagner individuellement et collectivement leurs équipes.

A défaut de savoir ce que signifie « l’entreprise libérée », il est possible de réfléchir de façon pratique à la manière de libérer nos managers.

Jacques BOURDONNAIS, Gérant